Photograph illustrating an embroidered pattern from Latin America

The Latin American motif, between tradition and cultural significance


Les textiles ornés de motifs traditionnels font partie de la vie quotidienne des peuples d’Amérique latine depuis les civilisations précolombiennes. Aujourd’hui encore, la beauté et la diversité des arts textiles en Amérique du Sud fascinent, inspirent et constituent un précieux support de mémoire collective. Partons à la découverte d’un patrimoine culturel considérable, dans un foisonnant mélange de styles et de techniques où les formes et les couleurs vibrent à l’unisson. 


Les origines des motifs sud-américains 

L’Amérique latine s’étend du Mexique à la Terre de Feu. Sur ce vaste territoire, les hautes montagnes côtoient les déserts arides aussi bien que la pampa et les forêts tropicales. Les peuples autochtones ont fait preuve très tôt d’une créativité textile foisonnante, malgré un environnement souvent rude et des ressources limitées Au fil des âges, un grand nombre de cultures distinctives s’y sont développées, sans aucune influence extérieure jusqu’à la colonisation portugaise et espagnole au XVIe siècle. 

Les plus marquantes restent sans doute les civilisations précolombiennes Maya (forêts du Guatemala et Chiapas), Aztèque (centre du Mexique) et Inca (Andes, de l’Equateur au Chili), de grandes sociétés organisées dans lesquelles les arts textiles étaient particulièrement florissants. Les sociétés de plus petite échelle n’étaient pas en reste. Les nombreux vestiqes textiles découverts en Mésoamérique (Mexique et Amérique centrale) ainsi que dans le Nord et le centre des Andes témoignent ainsi de la diversité et de la sophistication des techniques de tissage et de broderie dans cette région du monde, bien avant sa colonisation. 


Mésoamérique

Au Mexique, on tissait différentes variétés de coton blanc ou brun caramel, mais aussi les fibres d’agave et de yucca. Les textiles étaient teintés grâce à des colorants d’origine végétale (indigo, bois du Brésil ou de campêche) ou animale (cochenille, crustacés). 

Les étoffes étaient décorées de motifs de carreaux, bandes ou rayures, principalement créés sur des métiers à sangle dorsale. Une fois achevée, l’étoffe pouvait être imprimée à l’aide de tampons et cylindres de terre cuite. Dans la région du Yucatan, le procédé du batik a vraisemblablement été appliqué très tôt. Les textiles pouvaient également être agrémentés de broderies, de peinture à main levée, d’applications de plumes, coquillages, clochettes…

Selon la région, la tenue quotidienne des femmes se composait d’une tunique sans manches nommée huipil ou d’une pèlerine fermée (quechquemitl), accompagnée d’une jupe drapée, d’une écharpe ceinturée à la taille et d’une cape. Les hommes portaient des pagnes enroulés autour des hanches, des écharpes-ceintures, des tabliers, des capes tissées ou en filet. Hommes et femmes complétaient leur tenue avec des coiffures souvent spectaculaires.

Dans l’économie aztèque, basée sur le troc, les plus beaux textiles étaient considérés comme une monnaie d’échange. Ils servaient aussi bien de paiement que de dot, de linceul ou ou d’offrandes aux divinités. Chez les Aztèques et les Mayas, l’opulence du vêtement renforçait le statut des prêtres, nobles et guerriers.


Amérique du Sud pré-hispanique (Andes)

Une grande partie des textiles précolombiens découverts en Amérique du Sud proviennent du Pérou. Sur la côte, on cultivait et utilisait le coton, naturel ou teint, pour confectionner des textiles ornés de motifs géométriques et de personnages stylisés dès 3 000 av. J.-C. En altitude, les tisserands andins travaillaient la laine de camélidés (lama, alpaga, vigogne…) Les peuples autochtones teignaient déjà cette laine dans une très large gamme de nuances vives ou subtiles bien avant notre ère. Les Chibchas, communauté des hauts plateaux colombiens et péruviens, produisaient des textiles finement tissés, ornés de motifs sur chaîne et de dessins peints.

Par ailleurs, toutes les techniques de tissage artisanal connues à ce jour étaient déjà utilisées quatre siècles avant l’ère chrétienne. Les tissus pouvaient être agrémentés de broderies (côte sud du Pérou), représentant de petits personnages, des animaux, des oiseaux et différents motifs travaillés en boucles entrelacées. La broderie fut progressivement remplacée par la tapisserie dès le VIIe siècle. Cinq siècles plus tard, le peuple Inca employait encore cette technique pour confectionner les cumbi ou qompi, des textiles fins et luxueux ornés de motifs géométriques, végétaux ou animaliers stylisés réservés à la noblesse.

À son apogée, la civilisation Inca, dont l’influence s’étendait le long de la Cordillère des Andes et sur presque toute la côte ouest du continent sud américain au XVe siècle, donnait un rôle central aux textiles. Ceux-ci étaient systématiquement associés aux rituels associés aux grandes étapes de la vie d’un individu, de sa naissance à sa mort. Ils reflétaient également le statut social et l’origine régionale.  


Photograph illustrating South American embroideryPhotographie d'un fragment de tissu de laine polychrome représentant un personnage anthropo-zoomorphe mythique à ceinture de serpent. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac


L’influence coloniale sur les textiles et les motifs

À l’arrivée des colons européens au XVIe siècle, seules les populations reculées habitant les hauts plateaux et les plaines tropicales ont conservé leurs modes de vie traditionnels. 

L’introduction de nouvelles fibres et techniques a changé le paysage textile. La laine de mouton et le métier à pédale, entre autres, mais aussi le tricotage, devenu très populaire dans le sud du Pérou et en Bolivie. La plupart des traditions locales ont fusionné avec les influences européennes. La forme du vêtement indigène a évolué, devenant plus simple et plus modeste pour s’adapter au costume européen, avec quelques survivances de la période pré-hispanique. 

Cependant, les textiles, l’habillement et les symboles traditionnels ont conservé la plus grande partie de leur signification, notamment chez les populations rurales. Le goût de l’ornementation est resté intact, perpétué par la transmission et le maintien de savoir-faire anciens. 

Certaines communautés ont d’ailleurs pris soin de conserver leurs textiles depuis la période coloniale et les utilisent encore lors des cérémonies et grands événements (naissance, mariage, décès…)

Au final, loin de disparaître ou de rester statiques, les répertoires de motifs traditionnels d’Amérique latine ont intégré de nouveaux dessins européens sans jamais se dépourvoir de leur identité. C’est ainsi que des thèmes issus de l’iconographie chrétienne (croix, représentation de saints, scènes bibliques) sont venus s’ajouter au vaste répertoire de motifs exploités au cours de la période pré-hispanique : motifs géométriques, créatures mythiques, représentations naturalistes de plantes, d’humains ou d’animaux (serpents, jaguars, tortues, oiseaux...) 


Les textiles traditionnels au XXe siècle

Après des siècles de domination espagnole, le XXe siècle a marqué une période de renouveau dans les arts textiles d’Amérique latine et un regain d’intérêt pour les traditions indigènes. Cette volonté de préserver des traditions anciennes et de retrouver une identité culturelle a été portée par certains artistes, la plus emblématique étant sans doute Frida Kahlo.

Façonnées par l’histoire, la culture et les coutumes, maintenant le lien entre le passé et l’avenir, les spécialités textiles s’associent à différentes techniques et motifs qui varient selon les communautés et les zones géographiques. Chaque région possède donc ses propres formes d’expression artistique. Les représentations traditionnellement utilisées constituent le vocabulaire d’un langage commun à l’ensemble du continent. Fidèle à ses racines, ce langage parle de l’homme, de son rapport à la nature qui s’associe chez de nombreux peuples à la Terre-Mère (Pachamama). 

Ce mélange de styles s’avère d’une richesse considérable, d’un point de vue iconographique et plus largement historique. 


Photograph illustrating the production of a South American weaveAmérindienne tissant, 1935 © Musée du quai Branly - Jacques Chirac

La broderie textile d’Amérique latine 

Très anciennement pratiqué sur le continent, notamment au Mexique, au Guatemala et au Pérou, l’art de la broderie a été quelque peu délaissé au profit de celui de la tapisserie pendant la période Inca. 

La domination espagnole a donné un regain de vitalité aux motifs brodés, permettant l’assimilation de nouvelles matières (soie, coton, laine, puis soie artificielle, acrylique, fil métallisé et lurex…) et développant l’utilisation de techniques comme le plumetis, le point courant et le point de croix. La machine à coudre - d’abord à manivelle, puis à pédale, et enfin industrielle - a permis aux productions textiles d’évoluer et il n’est pas rare qu’elles combinent la broderie main et la broderie à la machine.

Au Mexique et en Amérique centrale, les corsages, huipils, jupes traditionnelles, sacs, écharpes et châles sont souvent couverts de motifs brodés floraux, géométriques ou animaliers, parfois agrémentés de perles de verre. Roses, marguerites, animaux, motifs baroques : ces motifs mêlent des éléments figuratifs stylisés d’inspiration européenne à des techniques de broderie ancestrales remises au goût du jour. Le tenango originaire de l’état d’Hidalgo en est un bel exemple.

Au Pérou, chaque région a son style de broderie et sa propre technique. Par exemple, à Arequipa, on travaille les broderies Makinasqa à la machine à coudre, pour créer des motifs typiques de la région sur les jupes, chumpi (écharpe ceinture), chemisiers, gilets et chapeaux. À Junin, on pratique le plumillado à la machine en déplaçant à la main le tissu tendu sur un cadre pour élaborer des motifs complexes à effet de dentelle. Le talaqueado y est aussi très populaire : cette technique de broderie à la machine par remplissage permet de créer de grands décors joyeusement colorés composés de fleurs, d’oiseaux ou d’insectes. D’autres variétés de broderie péruvienne moins répandues, telles que l’uvado ou le picateada, se basent sur des techniques proches du boutis, ou de l’appliqué inversé. 


Photograph illustrating a pattern from PeruTissu en laine du Pérou © Musée du quai Branly - Jacques Chirac


Quelques exemples d’arts textiles d’Amérique latine, par région


Amérique centrale : Mexique et Guatemala

Outre la broderie, cette région d’Amérique latine peut s’enorgueillir de nombreuses spécialités textiles autour du tissage. Alors que les artisans du Chiapas et d’Oaxaca tissent des textiles colorés ornés de motifs géométriques ou floraux, les communautés mayas du Guatemala pratiquent l’art du tissage sur métier à ceinture dorsale pour confectionner des huipiles et des cortes (jupes) aux couleurs vibrantes et aux motifs symboliques, mais aussi des ornements pour les coiffes (toyocal) et chapeaux, cols, bordures de chemises...


Caraïbes : Panama, Darién, Colombie

Parmi les spécialités textiles les plus célèbres du Circum Caribbean figurent les Molas, créations emblématiques des tribus Cunas du Panama et du Darièn. Ces panneaux de tissu multicolores sont créés grâce à la technique de l’appliqué : un découpage de formes et de motifs dans un assemblage de plusieurs couches de tissus colorés superposés, faisant de chaque mola une pièce unique. 

En Colombie, les sacs des femmes Wayuu et Arhuacos s’appellent des mochillas. Ils sont tissés ou crochetés et décorés de motifs géométriques écrus et noirs, ou très colorés. La spirale, symbole de vie, est un motif fréquemment représenté sur ces petits sacs seau.


Amazonie : Pérou 

Le peuple Shipibo-konibos confectionne des tissus peints ou brodés de fils colorés ornés de motifs géométriques labyrinthiques. Ces représentations s’inspirent des visions spirituelles des chamans.


Andes : Pérou, Bolivie, Équateur

Sur les hauts plateaux andins, l’art du tissage de fibres de laine (mouton et alpaga) déjà pratiqué par les populations précolombiennes n’a rien perdu de sa superbe. La réputation des tissages andins - notamment le tissage Quechua -, de leurs motifs géométriques complexes et de leurs couleurs chatoyantes est aujourd’hui internationale, et de nombreux efforts sont faits pour revitaliser la production traditionnelle. 


Région du Cône Sud : Argentine et Chili

La communauté Mapuche possède des traditions textiles anciennes encore représentées de nos jours. Ses tissages en laine de mouton sont ornés de zigzags et de chevrons. 



Photograph illustrating a headband with a textile pattern from the arts of the Andes regionBandeau de tête pour femme aux motifs géométriques et zoomorphes (chevaux, oiseaux) de la région des Andes © Musée du quai Branly - Jacques Chirac