Photographie illustrant un tissage Ikat

Le tissage et les motifs Ikat


Présent dans de nombreux endroits du monde, l’ikat est l’une des plus anciennes méthodes de teinture à la réserve. Ce processus minutieux associe nouage, teinture artisanale et tissage pour confectionner des textiles tissés-teints ornés de motifs multicolores vibrants. Découvrez les origines et les secrets de fabrication de ces tissus à motifs uniques en leur genre, identifiables au premier coup d'œil à leur aspect flouté.


​Qu’est-ce que la technique de tissage ikat ?

La technique de l’ikat a une particularité : elle nécessite de teindre les fils de chaîne et/ou de trame utilisés pour sa confection avant de les tisser. Un peu comme du tye and dye, mais appliqué directement sur les écheveaux de fils ! Seules certaines zones de fil sont colorées, de façon à composer un motif par intrication au moment du tissage. Très loin de ressembler au travail du peintre Jackson Pollock qui projetait de la peinture au hasard sur ses toiles, le procédé n’a rien d’aléatoire : il repose sur le nouage de sections de fils bien précises pour les « isoler » du colorant.

[Nota bene : les fils de chaîne se situent dans le sens de la longueur d’un textile. Les fils de trame, eux, sont alignés dans le sens de la largeur.] 


​L’ikat de chaîne, le procédé de base

Tout commence avec des faisceaux de fils tendus sur un cadre. La fabrication de l’ikat de chaîne consiste à ligaturer étroitement certaines zones des écheveaux, puis à les plonger dans un bain de teinture. Les zones protégées par les nœuds conservent la couleur d’origine de la fibre, alors que les zones « exposées » absorbent le colorant. Les fibres traditionnellement utilisées sont le coton et la soie, mais le procédé peut aussi s’appliquer à la viscose ou d’autres types de fibres pouvant être teintes. De nos jours, on utilise généralement de la ficelle synthétique pour ligaturer les écheveaux, plus efficace que le coton pour isoler les fibres. 

Après séchage, il est possible de reproduire l’opération avec d’autres couleurs, en retirant ou en ajoutant des nouages sur différentes zones des écheveaux à chaque bain de teinture. Il est ainsi possible de créer des motifs multicolores. Une fois l’ensemble du processus de teinture achevé, le fil est tissé, révélant le motif. 


Photographie illustrant la technique de tissage Ikat


Ikat de trame et ikat double

Plus complexes et plus longs à mettre en œuvre que l’ikat de chaîne, l’ikat de trame et l’ikat double sont deux autres déclinaisons de ce procédé. 

Le premier, l’ikat de trame, est vraisemblablement originaire du monde arabe (Yémen). La technique s’est ensuite diffusée en Inde et en Asie du Sud-Est. Elle a même voyagé jusqu’à Majorque, où ce tissu est connu sous le nom de roba de llengües (robe de langues). Contrairement à l’ikat de chaîne, c’est ici le fil de trame qui est teinté à la réserve avant d’être tissé sur métier mécanique. 

L’ikat double est incontestablement la variété la plus difficile à réaliser. On ne le trouve que dans quelques endroits du monde : au Nord-ouest de l’Inde (province du Gujarat), il est confectionné à partir de soie précieuse et se nomme patola. En Indonésie (Bali), où on lui prête des vertus magiques, il est fait de coton et son nom est geringsing. Au Japon, on parle de kasuri pour évoquer cet art textile peu répandu. 

Un ikat double est composé d’un fil de chaîne et d’un fil de trame colorés. Cette spécialité demande du temps pour concevoir avec soin le motif en amont et une grande précision au moment du tissage. Celui-ci s’effectue toujours sur des métiers très simples. Il nécessite de vérifier constamment le bon ajustement du fil de trame par rapport aux fils de chaîne. Quelle que soit sa provenance, l’ikat double est un textile d’exception. 


L’origine de l’ikat

Le nom « ikat » désigne à la fois le textile en lui-même et le procédé de fabrication. En Indonésien et en Malais, ikat signifie « nouer », « lien », ou même « cravate ». Mais en dépit de son nom originaire d’Asie du Sud-Est, rien ne confirme que le procédé se soit diffusé à partir de cette région du monde. Il est même fort possible qu’il soit apparu spontanément en plusieurs points de la planète... Composés de fibres naturelles et donc facilement dégradables, les textiles fabriqués en des temps reculés laissent souvent trop peu d’empreintes au fil du temps pour permettre de retracer précisément le parcours des techniques anciennes.  

Cependant, des vestiges d’ikat datés d’entre 900 et 200 avt. J.-C. ont été découverts en Amérique latine et sa présence est attestée en Asie (Chine et Indonésie), au Moyen-Orient (Egypte, Israël) entre le Ve et le Xe siècle. 

Du Moyen-âge à nos jours, la technique s’est vraisemblablement étendue d’un continent à l’autre, puisque l’art de l’ikat se pratique de longue date en Asie (Indonésie, Inde, Japon), mais aussi au Proche-Orient, en Afrique occidentale (Nigéria), en Amérique latine (Guatemala, Mexique, Argentine, Bolivie et Équateur). Autour du XVIIIe siècle, le procédé est devenu très populaire en Europe. On fabriquera même des ikats en Normandie… Ce tissu fait d’ailleurs toujours la fierté des artisans de Majorque, dernier bastion du savoir-faire européen de l’ikat. 

Pour contempler des ikats sans se rendre au Musée du Textile de Jakarta ou au Musée National de Tokyo (qui abrite de très anciens fragments d’ikat), rendez-vous sur le site du British Museum. La collection en ligne propose aux visiteurs virtuels les photos de plus de 400 pièces venues des 4 coins du monde.


Photographie illustrant un tapis décoratif arborant un motif lions coqs et oiseaux issu du tissage Ikattapis décoratif arborant un motif Ikat de lions, coqs et oiseaux © british museum


Les différents types de motifs Ikat


Ikat de chaîne


La technique de l’ikat de chaîne est la plus répandue en Indonésie. Il existe donc une infinité de styles différents qui correspondent à l’identité culturelle de chaque pays, chaque région et chaque ethnie. Par exemple, à Sumba, Flores et au Timor, les ikat hinggi sont réputés pour toujours privilégier les mêmes rapports de couleurs, des tons chauds parfois cantonnés au rouge, au brun et à l’ocre. Les motifs représentent la plupart du temps des figures humaines ou des animaux (lézards, squelettes, poulets, créatures marines...) A Savu, les ikats se distinguent par leurs motifs géométriques disposés en grille ou en rangées. À Sarawak (Malaisie), l’ethnie Iban crée des textiles ornés de silhouettes humaines et de motifs abstraits entrelacés, inspirés par la flore et la faune locales.


 • Ouzbékistan 

En soie (shoyi), ou en soie et coton (adras, bekasam), les ikats d’Ouzbékistan ont une solide renommée. Ils peuvent être ornés de motifs de rayures simples, de dessins géométriques (carrés, cercles, losanges, rosaces…) mais aussi de compositions inspirées du monde animal, ou végétal (feuilles en palmettes, fleurs, amandes, grenades, pommes…)


​Ikat de trame


  • Thaïlande, Cambodge, Laos

Au Nord-est de la Thaïlande, les motifs multicolores de l’ikat de trame se déclinent en rayures verticales, parfois ornés de symboles porte-bonheur bouddhistes. Au Cambodge et au Laos, les artisans s’inspirent des ikats doubles. Ils créent ainsi des ikats ornés de motifs géométriques placés en treillis, ou composés d’éléments narratifs en bandes (danseuses, temples, éléphants...).  


 • Roba de llengües (Majorque)

L’ikat des Baléares se compose essentiellement de rayures et de motifs géométriques, il se caractérise par ses couleurs fraîches à l’inspiration très méditerranéenne (blanc, rose, vert, bleu, jaune…) Si le procédé originel était fondé sur l’ikat de trame, il semble que les fabricants encore en activité aient finalement pris le parti d’opter pour l’ikat de chaîne.


Photographie illustrant un motif textile tisse Ikat


Ikat double


  Patola (Inde)

Perroquets et autres oiseaux, fleurs, éléphants, personnages dansants… Les motifs traditionnels des somptueux saris patola s’inspirent de la flore et de la faune, dans des compositions parfois agrémentées de designs géométriques. 


  Geringsing (Bali)

Exclusivement fabriqué dans le village de Tenganam Pegeringsingam, le Geringsing témoigne des influences hindoues. Il existe une vingtaine de modèles traditionnels, sur lesquels on retrouve régulièrement des mandalas et des fleurs de frangipanier, ainsi que de nombreux motifs floraux, géométriques, abstraits et symboliques (étoiles, animaux et figures du théâtre d’ombres Wayang kulit...) La palette de couleurs utilisées est généralement basée sur le rouge, le brun rougeâtre foncé, le jaune coquille d’oeuf et le noir. 


 • Kasuri (Japon)

Il existe des Kasuri travaillés en ikat de trame, d’autres en ikat double. Leur couleur de base est l’indigo. Ils peuvent représenter des figures simples et symboliques (oiseaux, papillons, fleurs, végétaux, paysages...) ou des motifs géométriques répétés (carrés, damiers, rayures, arabesques, flammes), dans la plus pure tradition des motifs ancestraux japonais.


Photographie illustrant un motif textile Ikat


En conclusion, L'ikat est bien plus qu'une simple technique de tissage, ce dernier incarne une tradition millénaire, profondément ancrée dans l’histoire et les cultures textiles du monde entier. Cette méthode unique, qui consiste à teindre les fils de coton ou de soie avant même de commencer le tissage, permet de créer des motifs fascinants, reconnaissables à leur aspect légèrement flouté. L'ikat, notamment très présent en Indonésie, mais également en Inde, au Japon et dans de nombreuses autres régions, donne naissance à des textiles qui sont autant des œuvres d'art que des produits du quotidien. Qu'il s'agisse de saris somptueux, de tentures décoratives, ou même de coussins, ces tissus aux motifs géométriques, floraux ou symboliques révèlent un travail méticuleux, souvent réalisé sur des métiers à tisser simples.

La teinture artisanale, confère à chaque pièce une profondeur et une richesse visuelle uniques. Cela fait de l'ikat un produit précieux, dont le prix reflète non seulement la beauté du motif, mais aussi le temps et le savoir-faire nécessaires à sa fabrication. Les textiles en coton ou en soie issus de cette technique, font aujourd'hui l'objet de collections prisées, perpétuant un art ancien qui continue de traverser les âges. Loin d’être reléguée au passé, la tradition du tissage ikat demeure un symbole de l’art textile traditionnel, offrant des produits à la fois fonctionnels et esthétiquement remarquables.